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La crise sanitaire a bouleversé le monde de la formation. Et accéléré une tendance de fond qui grandit depuis plusieurs années : digitalisation accélérée, innovations pédagogiques, et réflexions sur les outils utilisés. La notion de parcours de formation a pris place sur le devant de la scène. On pourrait s’imaginer que ce soit pour le meilleur. Pourtant cette considération s’accompagne souvent d’une certaine gadgétisation : en se concentrant de plus en plus sur les outils, les méthodes, la philosophie d’apprentissage ou encore les étapes d’évolution, on oublie de considérer l’apprenant. Paradoxalement, en se concentrant sur les moyens, on perd de vue l’acteur principal de tout parcours de formation.
Face à la montée de l’obsolescence des compétences et l’accélération de l’évolution des métiers, la notion de “formation tout au long de la vie” s’est largement imposée. Avec elle, le développement des compétences s’insère de plus en plus dans les parcours professionnels. On ne parle plus de “formation initiale” mais de “parcours de formation”.
Cette évolution des mentalités s’accompagne d’une évolution des technologies et des outils. En effet, des innovations comme l’adaptative learning, le micro-learning ou encore la pluralité des contenus proposés permettent de personnaliser l’apprentissage et de le segmenter pour le rendre plus progressif et donc plus efficace.
Ces innovations technologiques – qui s’accompagnent souvent de réflexions de fond sur la pédagogie – sont particulièrement importantes. Elles contribuent à bouleverser l’image de la formation professionnelle, particulièrement écornée par des pratiques archaïques qui persistaient. On assiste par exemple au développement de pédagogies ascendantes, d’une meilleure prise en compte du rythme d’apprentissage, ou encore d’une mise en valeur de nombreux fondamentaux de la pédagogie.
Tous ces éléments contribuent à structurer une réflexion de fond pour de nombreux acteurs sur la “learning journey”, c’est à dire le parcours de formation. Ainsi, maintenant, la formation doit s’inscrire dans un temps long. À travers un parcours individualisé et intelligent qui s’adapte à l’apprenant. En principe, tout va bien dans le meilleur des mondes.
En effet, à trop techniciser notre approche de la formation, on risque d’essayer de rationaliser l’irrationnel. Toutes les techniques du monde, tous les outils, toutes les méthodes, aussi rassurantes soient-elles, auront toujours une efficacité limitée face à la complexité de l’esprit humain.
En effet, et n’en déplaise à tous les aficionados des algorithmes, former quelqu’un c’est le transformer. Parfois profondément, dans ses convictions, ses schémas mentaux et ses projections du monde. Cette transformation peut être facilitée et accélérée par des outils et des techniques. Mais seulement si l’apprenant reste au cœur du sujet. Dis autrement, beaucoup d’innovations facilitent quantitativement la formation de masse sans améliorer qualitativement les parcours de formation individuels.
Aujourd’hui, trop de responsables formation se laissent séduire par des technologies et des innovations qui font oublier la complexité de l’apprentissage. La gamification est particulièrement séduisante parce qu’elle donne l’illusion d’une réponse simple : motiver les apprenants par le jeu. Pourtant, beaucoup de professionnels en reviennent : en effet, si on apprend mieux en amusant, on n’apprend pas parce qu’on s’amuse.
Cette inversion lexicale peut faire sourire. C’est pourtant l’erreur fondamentale que font tous ceux qui placent le parcours d’apprentissage avant l’apprenant. En se concentrant sur les moyens de l’apprentissage, on part du principe que la volonté de formation est déjà présente. Ou pire que le parcours permet de s’abstraire de la volonté d’apprentissage. “Pas la peine qu’ils aient envie d’apprendre, de toute façon ils apprendront sans s’en rendre compte”.
De la même manière, les différentes techniques de nudge sont attractives. Car elles facilitent le passage à l’action des apprenants en mettant de côté la complexe question de la motivation intrinsèque. Pourtant elles ont également leurs limites. Une fois l’effet du nudge dissipé, la motivation retombe comme un soufflet et la supercherie est démasquée.
Ainsi, ce culte des techniques et de la personnalisation du parcours de formation nous fait oublier que même l’expérience la plus personnalisée, la plus innovante du monde n’aboutira nulle part si l’apprenant n’est pas profondément convaincu de l’intérêt de sa formation. Et surtout ne sont pas prêt à remettre en question ses savoirs et sa vision du monde.
Loin de moi l’idée de réfuter tous les progrès qui ont été faits ou de prôner un retour aux parcours de formation “à l’ancienne”. Cependant toutes les innovations récentes verront leur efficacité maximisée. Ainsi elles pourront s’inscrire dans la durée. Mais seulement si elles servent l’apprenant et le projet d’apprentissage et non le formateur ou le responsable formation.
Cette transition implique un recentrement sur le sujet principal de la formation. Mais implique également de reconsidérer la temporalité des formations. En effet, la notion même de “learning journey” est problématique. Car elle suppose toujours une rupture entre des moments d’apprentissage et des moments de non-apprentissage. Penser qu’il existe un parcours de formation suppose qu’en dehors de ce parcours, on n’apprend pas.
Or il est prouvé depuis longtemps que les phases d’application, de pause entre les sessions de formation, sont tout autant des phases d’apprentissage. C’est notamment illustré à travers la “phase réflexive” mise en avant dans le dispositif d’AFEST. Ou encore les exercices d’expérimentation demandés par de nombreux coachs entre deux séances.
Ainsi, il est important de dépasser cette notion de parcours. Car elle enferme la formation dans un cadre théorique et freine l’apprentissage. En effet, instillant cette notion de parcours chez l’apprenant, on lui fait perdre conscience du travail continu. Cela passe par : intégration, reformulation et appropriation de nouveaux concepts, méthodes ou savoir-faire.
Pour que la formation soit encore plus efficace, le parcours de formation doit se confondre avec la carrière et le parcours personnel de vie des apprenants. Plutôt que de parler de formation tout au long de la vie, il faudrait enfin considérer que la vie est une formation perpétuelle et donner aux apprenants la pleine conscience du mouvement permanent d’apprentissage dans lequel ils s’inscrivent.
Voilà pourquoi la volonté d’apprentissage devient un élément structurant de la réussite d’un projet de formation. C’est le véritable moteur qui permet à l’apprenant de se mobiliser, de s’investir, de remettre en question ses modes de pensée et d’accepter d’être mis en difficulté. Les technologies et techniques pédagogiques peuvent alors être mises au service de cette volonté d’apprentissage, pour l’augmenter, l’accélérer, la faciliter.
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